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Lorsque qu’on me demande quelle est ma pratique artistique : peinture, photographie ? Je suis dans l’embarras, alors je réponds que je me définis comme plasticienne, et j’incite mon interlocuteur à en chercher la définition sur internet… Mais je pense que le terme exact serait artiste exploratrice, voire chercheuse : je cherche et je trouve, contrairement à certains… qui trouvent sans chercher…
Essayons de vous mettre sur la voie :
Lorsque j’ai une attirance ou un coup de foudre pour un objet ou un sujet (trames, soleil, pont neuf emballé par Christo, pierre, reflet, incendie, architecture, paysage, couple, etc.) qui se présente devant moi, je me retrouve dans un état second, une sorte de transe, et j’entame une excitante exploration avec l’appareil photographique et/ou la video, puis l’infographisme, l’assemblage, le collage informatique, le gommage aussi, pour aller lui faire dire tout ce qu’il porte en lui (l’objet ou le sujet). Cela peut durer quelques jours, mais plus souvent quelques années, le temps de chercher, de trouver, de voir, le temps d’imaginer aussi, de projeter, de créer autre chose, une émotion, une idée, une histoire que j’ai ensuite envie de partager par une mise en forme et en espace (l’installation). L’objet-sujet de départ devient prétexte pour une aventure artistique, chargée ou non de sens. Quelques exemples :
Les effets cinétiques des moirages (rideaux ou grillages superposé)s m’ont conduite au thème de l’illusion de la perception ; les centaines de photographies de couchers et levers de soleil m’ont transportée vers le mythe de Prométhée, le progrès et le futur de l’aventure humaine (grâce ou à cause de l’Intelligence Artificielle ?) ; une petite pierre carrée traversée par des lignes m’a tout naturellement emportée vers le mythe du Big Bang et du 7ème jour, puis vers des élucubrations graphiques sur la perte d’information à travers les nouveaux médias et les réseaux sociaux ; le fait divers de l’incendie de ma maison m’a questionné sur la violence et le rapport à l’objet, les paysages et les vanités m’ont fait divaguer sur l’ego humain et ses influences sur notre civilisation ou sur la nature ; les photographies prises à 45° pour des projections animées ou des polyptyques m’ont fait découvrir les immenses capacités de notre cerveau, ainsi que les pièges de la perception visuelle ; les reflets des objets dans l’eau des ports m’ont fait comprendre que tout est système ondulatoire et vibratoire, et m’ont fait rejoindre le premier thème de l’illusion d’une impossible perception d’une réalité objective. Et la boucle est bouclée ? Pas si sûr…
“Et la diagonale qui sous-tend presque toutes vos oeuvres ?”, me direz vous. Cette diagonale, très précise et unique, inventée dès les premiers moirages ainsi que dans mes compositions abstraites des carrés induits, infographiée, rajoutée ou trouvée, ou bien encore issue d’un basculement à 45° du “réel” photographié, unit et donne un sens (géométrique) aux assemblages : l’objet choisi devient ainsi module abstrait combinable et contribue au sens (signification) de l’oeuvre.
Tout cela vous semble encore un peu obscur ? Chaque oeuvre ou chaque installation a été conçue avec une certaine logique, un processus, un algorithme numérique, ou un hasard de jeté de dés ou de jeté de main, et devient, lorsque vous vous trouvez face à face ou dedans, visible puis lisible : après un premier regard, celui de la sensation visuelle, celui de l’esthétique, elle peut se lire comme une proposition d’histoire ou de réflexion et, après tout, il ne suffit plus de regarder, d’entrevoir ou de percevoir, mais de voir… et de prolonger cette vision.
Apprendre à voir, en fait, c’est peut-être ça le principal fil rouge…
Et deux citations peuvent encore mieux résumer ma pensée :
Une de Léonard de Vinci :
“Regarde attentivement car ce que tu vas voir n’est plus ce que tu viens de voir .”
Une autre d’un plasticien contemporain, aujourd’hui’hui décédé, et que j’ai découvert et connu à Caen en même temps que l’art systématique : François Morellet dont la citation prolonge la pensée de Vinci :
” Les œuvres d’art sont des coins à pique-nique, des auberges espagnoles où l’on consomme ce que l’on apporte soi-même. “
Marie-Françoise Lequoy
Fages, le 6 février 2024